Blanchiment: l'étonnante présence de la Tunisie sur une liste noire européenne
Par Malaurie Chokoualé — 11 février 2018 à 12:57
La marina de Sidi Bou Said, à 20 kilomètres de Tunis, le 20 novembre, 2017. Photo Fethi Belaid. AFP
La Commission européenne pointe Tunis concernant le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Une classification aux motifs contestables.
Blanchiment: l'étonnante présence de la Tunisie sur une liste noire européenne
La Tunisie est inscrite depuis le 7 février sur une blacklist de l’Union européenne: celle des pays exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Suivant la directive européenne en matière de blanchiment d’argent de 2015, la Commission européenne établit une liste annuelle des pays (non-membres de l’UE) à risques. Le Parlement européen se charge ensuite de la valider.
Lutte européenne contre l’opacité économique
Pour l’Europe, cette décision est justifiée par le manque de transparence des finances publiques du pays. Depuis le 5 juillet 2016, l’UE tente de lutter contre l’utilisation des systèmes financiers locaux à des fins criminelles ou terroristes.
Cette question de la transparence est justement centrale pour le Gafi (Groupe d’action financière), organisme intergouvernemental spécialisé notamment sur la question du blanchiment. Selon un article du Marsad, un observatoire du secteur de la sécurité en Tunisie, le Gafi a évalué en 2015 la situation du pays. A cette époque, «des milliers de jihadistes tunisiens présents dans les zones de conflits, leur embrigadement via des associations caritatives, des flux d’argent douteux et le conflit libyen avaient, depuis la chute du régime de Ben Ali, jeté des suspicions sur la Tunisie». Selon cet article, le système financier local ne remplissait alors que 11 des 40 critères établis par le Gafi. La Tunisie a continué à collaborer avec le Gafi, et, selon ce dernier, le pays ne remplit désormais 27 critères sur les 40. Il a donc décidé de sortir la Tunisie de la zone rouge pour la ranger vers des teintes plus vertes, dans la catégorie «juridictions sous surveillance».
Le problème, poursuit l’article, est que l’Union européenne n’a pas pris en compte cette évolution de catégorie et des critères préalables remplis lors de ce second audit. L’UE se serait donc basée sur la première évaluation, et donc des données anciennes. La Commission européenne n’ayant pas d’organisme de contrôle propre pour effectuer ces contrôles, s’en remet aux recommandations du Gafi.
Besoin de soutien
Une méthodologie que tous les membres du Parlement européen n’approuvent pas forcément. L’ajout de la Tunisie, du Sri Lanka et de Trinité-et-Tobago a divisé l’institution. Certains députés faisaient valoir que la Tunisie est une jeune démocratie ayant besoin de soutien, et non d’une liste qui l’enfonce sans reconnaître les récentes mesures établies pour renforcer son système financier face à des activités criminelles. Lundi 5 février la députée Marie-Christine Vergiat exprimait son étonnement. La Tunisie, contrairement par exemple à la Libye, n’est pas en guerre, a-t-elle déclaré en substance. Elle s’interroge donc sur l’absence de ces pays sur cette même liste noire alors que la Tunisie y figure.
Ce n’est pas la première fois que la Tunisie se retrouve sur une liste noire. En novembre, elle était déjà sur celle des paradis fiscaux aux côtés du Panama, de la Corée du Sud ou encore de la Barbade. Mais le 23 janvier, moins de deux mois après son inscription, elle en a été retirée. La voilà donc sortie d’une liste pour faire son entrée dans une autre.
Face à cette décision que Khemaies Jhinaoui, le ministre des Affaires étrangères tunisien, a qualifiée de «dure et injuste», l’ampleur des répercussions politiques et économiques est encore difficile à prévoir.
Le gouvernement tunisien craint également que l’image de la Tunisie ne soit égratignée à l’étranger, a déclaré le dirigeant d’une banque tunisienne au Monde. D’autres estiment que ces sanctions pour les pays présents sur cette liste ne sont pas claires. Celle-ci semble surtout être guidée par une logique qui consiste à mettre sous les feux de la rampe un pays qui ne coopère pas. Une forme de «name and shame».Malaurie Chokoualé
source: Libération
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