Tunisie. La révolte toujours latente
Le 14 janvier, date anniversaire de la chute de Ben Ali en 2011, les Tunisiens ont défilé en masse. Avenue Bouguiba à Tunis, ils étaient nombreux à commémorer la révolution, drapeau national à la main. Ailleurs pourtant, d'autres groupes ont brandi des slogans hostiles au gouvernement. Tel un reflet des deux Tunisie, « celle qui espère et celle qui désespère ».
La grogne sociale a refait surface en Tunisie, ultime pays rescapé du Printemps arabe où doit se rendre, mercredi, le chef de l'État français, Emmanuel Macron. Sept ans après l'exil de Ben Ali, la pauvreté, le chômage et la corruption qui ont entraîné la chute de la dictature sont toujours bien présents, ravivant la colère d'une jeunesse avide de changements et de justice sociale.
De notre envoyé spécial. Emmanuel Macron entamera, mercredi, une visite d'État de deux jours en Tunisie où il sera reçu par son homologue, Béji Caïd Essebsi. Si l'économie, la sécurité et les questions migratoires seront au coeur de ce voyage, le président français arrive dans un pays en pleine effervescence. Un contexte assez tendu, trois semaines après la colère dite du « couffin » qui a vu la Tunisie renouer avec la révolte. Le mouvement de contestation contre la hausse des prix lancé par la campagne « Fech Nestannew » (« Qu'est-ce qu'on attend ? ») a pris une ampleur inattendue dans les villes de l'intérieur défavorisées. Un slogan toujours affiché sur des murs au côté de « Fuck la police ».
« Rien n'a changé »
Sept ans après la révolution du Jasmin qui a poussé l'ancien président Ben Ali à l'exil en Arabie saoudite, les Tunisiens ont, certes, réussi une transition politique mais sont aujourd'hui à bout de souffle. La jeunesse, touchée durement par le chômage, est en quête de dignité. Elle l'a exprimé violemment dans plusieurs villes du pays et dans la banlieue de Tunis. Les pillages et violences nocturnes ont alors obligé l'armée à se déployer autour des banques, commissariats et autres bâtiments officiels... Les stigmates sont toujours là, malgré les quelques couches de peinture blanche passées sur les murs. Le gouvernement se montre ferme et accuse les manifestants d'être manipulés par l'opposition. Matée à coups de matraque et de gaz lacrymogène - des centaines d'arrestations ont été opérées -, cette révolte s'est éteinte. Mais le feu couve toujours. « Il y a quelques années encore, je pouvais me permettre d'acheter de la viande une fois par semaine. Maintenant, c'est une fois par mois. Et encore ! Les prix sont trop élevés pour mon salaire, intenable pour une famille avec quatre enfants », soupire Adil, postier à Tunis. « On vit avec l'espoir, toujours l'espoir. Mais le temps est à la brume, l'horizon est couvert », philosophe près de lui son vieux père, qui dit « regretter amèrement » l'époque Ben Ali. « Avec lui, on avait au moins la sécurité, regardez ce que les jeunes ont saccagé. Des voyous, des fainéants, pas des révolutionnaires... », s'emporte-t-il. Au fil des discussions, le ton monte entre le père et le fils, vivant avec toute la famille dans le même appartement à Ben Arous, près de Tunis. « Rien n'a changé, ce sont les mêmes Ben Alistes qui sont au pouvoir et aux affaires », rétorque le fils, tout en reconnaissant que ce sentiment gagne étrangement du terrain.
Se montrer « patient »
Fille de la Marsa, quartier chic à l'écart de Tunis où elle est fonctionnaire, Yasmine, 38 ans, veut rompre avec ce pessimisme. « On voulait la liberté, nous l'avons. Il faut être patient pour le reste. » La tonalité est la même chez nombre de Tunisiens qui citent l'exemple de l'Algérie voisine avec ses années noires. Et aujourd'hui la Libye, accusée de tous les maux dès lors qu'on parle de terrorisme. Les partis politiques sont renvoyés dos à dos. L'élite se fiche des islamistes d'Ennahdha (en coalition avec les modernistes de Nidaa Tunes, du président Essebsi), soupçonnés de bloquer la transition démocratique et la libéralisation de l'économie du pays. Rached Ghanouchi, président d'Ennahdha, n'hésite pas à monter au créneau pour dénoncer des « anarchistes » qui « sabotent »... Preuve qu'il tire toujours les ficelles, insiste un homme d'affaires tunisien, il était dans la délégation officielle tunisienne au Forum économique de Davos, et pas le président Essebsi. Le patron d'Ennahdha y a, en effet, rencontré des dirigeants et responsables de nombreux pays.
Coexistence de deux Tunisie
Quant aux partis de gauche, ils sont quasi inaudibles depuis les dernières élections de 2014 où ils ont obtenu peu de sièges au Parlement. Accusé par les islamistes et les libéraux d'avoir appelé aux émeutes et faire capoter la loi de finances 2018, le Front populaire (gauche) avait répliqué que « c'est la coalition au pouvoir qui pille et saccage la Tunisie ». Pour Mehdi Jomaa, ancien chef du gouvernement technocrate, aujourd'hui à la tête du nouveau parti Alternative, « les dirigeants actuels manquent de vision et deux Tunisie coexistent : celle qui espère et celle qui désespère ». Il estime que les inégalités sont le réel problème du pays et se dit « inquiet » de cette tension sociale qui, selon lui, était « prévisible ». Le mouvement de contestation a, lui, appelé à reprendre la mobilisation. Autant dire que le président français est attendu pour une coopération plus importante.
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EN COMPLÉMENT
Un plan gouvernemental contre la pauvreté
Alimentés par un chômage persistant (15 % selon les chiffres officiels), la grogne et les troubles sociaux survenus ce mois de janvier ont été exacerbés par des hausses d'impôts prévues dans le budget 2018, qui viennent grignoter un pouvoir d'achat déjà éprouvé par une inflation de plus de 6 % fin 2017. Les protestataires réclament la révision du budget mais aussi une lutte plus efficace contre la corruption. Alors que plus de 800 personnes soupçonnées de violence, de vol et de pillage ont été arrêtées, le président Béji Caïd Essebsi, 91 ans, a promis : « Cette année, nous allons commencer à nous occuper des jeunes ». En difficulté financière, la Tunisie a obtenu un prêt de 2,4 milliards d'euros sur quatre ans du Fonds monétaire international. En échange, elle s'est engagée à une réduction de son déficit public et à des réformes économiques. Le plan d'action gouvernemental, qui doit toucher plus de 120.000 bénéficiaires, coûtera plus de 70 millions de dinars (23,5 millions d'euros). Il prévoit une aide à l'accès à la propriété pour les familles pauvres, des mesures visant à assurer « une couverture médicale pour tous » et une augmentation d'au moins 20 % de l'allocation sociale en faveur des familles nécessiteuses.
Un parti réclame le retour du dictateur Ben Ali
Aussi étonnant soit-il, le coup de « bluff » aura réussi à faire sortir de l'ombre les toujours fidèles de Ben Ali. Surfant sur la colère qui règne dans le pays et les violences ayant débordé le mouvement de contestation pacifique contre la vie chère, un Parti socialiste destourien (PSD, mais qui n'a rien à voir avec le vieux PSD de Bourguiba) demande publiquement le retour de l'ex-dictateur. Ainsi son responsable, Chokri Balti, a déclaré, sur une radio locale très écoutée en Tunisie, avoir envoyé officiellement une missive à l'ancien Président, exilé depuis janvier 2011 en Arabie saoudite, ainsi qu'à son avocat. « Ben Ali est un citoyen tunisien auquel la constitution tunisienne garantit le droit de pratiquer une activité politique », soutient-il, assurant que si l'ex-Président accepte sa proposition, il sera le chef du Parti socialiste destourien « afin de sauver la patrie ». Il assure que le Président déchu devrait aussi comparaître devant la justice car, dit-il, « il détient une grande part de la vérité sur ce qui s'est passé avant son départ forcé ».
« Une révolution pour rien »
Peu de gens, dans la sphère politique tunisienne, veulent croire à cette option. Ce serait « un retour en arrière, une révolution pour rien », dénoncent les détracteurs de Ben Ali. Dans un communiqué diffusé mi-janvier, Chokri Balti a réaffirmé sa volonté d'aller jusqu'au bout de sa démarche : « C'est une honte que Ben Ali continue à vivre en exil ». Âgé de 83 ans, Zine el Abidine Ben Ali, que l'on dit malade, et son épouse Leïla Trabelsi, accusée dans des affaires de corruption avec sa famille, ont été condamnés par contumace à de lourdes peines de prison. Réduit au silence par les autorités saoudiennes, le couple est rarement apparu en public. Seul un cliché publié par un de ses enfants sur Instagram, en août 2013, a fait le tour de la Tunisie. On y voit le président déchu en pyjama rayé, en compagnie de son fils. En octobre dernier, une autre image de la famille, réunie pour les fiançailles de l'une de ses filles, a été publiée dans un journal du Moyen-Orient.
source: le telegramme
La grogne sociale a refait surface en Tunisie, ultime pays rescapé du Printemps arabe où doit se rendre, mercredi, le chef de l'État français, Emmanuel Macron. Sept ans après l'exil de Ben Ali, la pauvreté, le chômage et la corruption qui ont entraîné la chute de la dictature sont toujours bien présents, ravivant la colère d'une jeunesse avide de changements et de justice sociale.
De notre envoyé spécial. Emmanuel Macron entamera, mercredi, une visite d'État de deux jours en Tunisie où il sera reçu par son homologue, Béji Caïd Essebsi. Si l'économie, la sécurité et les questions migratoires seront au coeur de ce voyage, le président français arrive dans un pays en pleine effervescence. Un contexte assez tendu, trois semaines après la colère dite du « couffin » qui a vu la Tunisie renouer avec la révolte. Le mouvement de contestation contre la hausse des prix lancé par la campagne « Fech Nestannew » (« Qu'est-ce qu'on attend ? ») a pris une ampleur inattendue dans les villes de l'intérieur défavorisées. Un slogan toujours affiché sur des murs au côté de « Fuck la police ».
« Rien n'a changé »
Sept ans après la révolution du Jasmin qui a poussé l'ancien président Ben Ali à l'exil en Arabie saoudite, les Tunisiens ont, certes, réussi une transition politique mais sont aujourd'hui à bout de souffle. La jeunesse, touchée durement par le chômage, est en quête de dignité. Elle l'a exprimé violemment dans plusieurs villes du pays et dans la banlieue de Tunis. Les pillages et violences nocturnes ont alors obligé l'armée à se déployer autour des banques, commissariats et autres bâtiments officiels... Les stigmates sont toujours là, malgré les quelques couches de peinture blanche passées sur les murs. Le gouvernement se montre ferme et accuse les manifestants d'être manipulés par l'opposition. Matée à coups de matraque et de gaz lacrymogène - des centaines d'arrestations ont été opérées -, cette révolte s'est éteinte. Mais le feu couve toujours. « Il y a quelques années encore, je pouvais me permettre d'acheter de la viande une fois par semaine. Maintenant, c'est une fois par mois. Et encore ! Les prix sont trop élevés pour mon salaire, intenable pour une famille avec quatre enfants », soupire Adil, postier à Tunis. « On vit avec l'espoir, toujours l'espoir. Mais le temps est à la brume, l'horizon est couvert », philosophe près de lui son vieux père, qui dit « regretter amèrement » l'époque Ben Ali. « Avec lui, on avait au moins la sécurité, regardez ce que les jeunes ont saccagé. Des voyous, des fainéants, pas des révolutionnaires... », s'emporte-t-il. Au fil des discussions, le ton monte entre le père et le fils, vivant avec toute la famille dans le même appartement à Ben Arous, près de Tunis. « Rien n'a changé, ce sont les mêmes Ben Alistes qui sont au pouvoir et aux affaires », rétorque le fils, tout en reconnaissant que ce sentiment gagne étrangement du terrain.
Se montrer « patient »
Fille de la Marsa, quartier chic à l'écart de Tunis où elle est fonctionnaire, Yasmine, 38 ans, veut rompre avec ce pessimisme. « On voulait la liberté, nous l'avons. Il faut être patient pour le reste. » La tonalité est la même chez nombre de Tunisiens qui citent l'exemple de l'Algérie voisine avec ses années noires. Et aujourd'hui la Libye, accusée de tous les maux dès lors qu'on parle de terrorisme. Les partis politiques sont renvoyés dos à dos. L'élite se fiche des islamistes d'Ennahdha (en coalition avec les modernistes de Nidaa Tunes, du président Essebsi), soupçonnés de bloquer la transition démocratique et la libéralisation de l'économie du pays. Rached Ghanouchi, président d'Ennahdha, n'hésite pas à monter au créneau pour dénoncer des « anarchistes » qui « sabotent »... Preuve qu'il tire toujours les ficelles, insiste un homme d'affaires tunisien, il était dans la délégation officielle tunisienne au Forum économique de Davos, et pas le président Essebsi. Le patron d'Ennahdha y a, en effet, rencontré des dirigeants et responsables de nombreux pays.
Coexistence de deux Tunisie
Quant aux partis de gauche, ils sont quasi inaudibles depuis les dernières élections de 2014 où ils ont obtenu peu de sièges au Parlement. Accusé par les islamistes et les libéraux d'avoir appelé aux émeutes et faire capoter la loi de finances 2018, le Front populaire (gauche) avait répliqué que « c'est la coalition au pouvoir qui pille et saccage la Tunisie ». Pour Mehdi Jomaa, ancien chef du gouvernement technocrate, aujourd'hui à la tête du nouveau parti Alternative, « les dirigeants actuels manquent de vision et deux Tunisie coexistent : celle qui espère et celle qui désespère ». Il estime que les inégalités sont le réel problème du pays et se dit « inquiet » de cette tension sociale qui, selon lui, était « prévisible ». Le mouvement de contestation a, lui, appelé à reprendre la mobilisation. Autant dire que le président français est attendu pour une coopération plus importante.
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Un parti réclame le retour du dictateur Ben Ali
Aussi étonnant soit-il, le coup de « bluff » aura réussi à faire sortir de l'ombre les toujours fidèles de Ben Ali. Surfant sur la colère qui règne dans le pays et les violences ayant débordé le mouvement de contestation pacifique contre la vie chère, un Parti socialiste destourien (PSD, mais qui n'a rien à voir avec le vieux PSD de Bourguiba) demande publiquement le retour de l'ex-dictateur. Ainsi son responsable, Chokri Balti, a déclaré, sur une radio locale très écoutée en Tunisie, avoir envoyé officiellement une missive à l'ancien Président, exilé depuis janvier 2011 en Arabie saoudite, ainsi qu'à son avocat. « Ben Ali est un citoyen tunisien auquel la constitution tunisienne garantit le droit de pratiquer une activité politique », soutient-il, assurant que si l'ex-Président accepte sa proposition, il sera le chef du Parti socialiste destourien « afin de sauver la patrie ». Il assure que le Président déchu devrait aussi comparaître devant la justice car, dit-il, « il détient une grande part de la vérité sur ce qui s'est passé avant son départ forcé ».
« Une révolution pour rien »
Peu de gens, dans la sphère politique tunisienne, veulent croire à cette option. Ce serait « un retour en arrière, une révolution pour rien », dénoncent les détracteurs de Ben Ali. Dans un communiqué diffusé mi-janvier, Chokri Balti a réaffirmé sa volonté d'aller jusqu'au bout de sa démarche : « C'est une honte que Ben Ali continue à vivre en exil ». Âgé de 83 ans, Zine el Abidine Ben Ali, que l'on dit malade, et son épouse Leïla Trabelsi, accusée dans des affaires de corruption avec sa famille, ont été condamnés par contumace à de lourdes peines de prison. Réduit au silence par les autorités saoudiennes, le couple est rarement apparu en public. Seul un cliché publié par un de ses enfants sur Instagram, en août 2013, a fait le tour de la Tunisie. On y voit le président déchu en pyjama rayé, en compagnie de son fils. En octobre dernier, une autre image de la famille, réunie pour les fiançailles de l'une de ses filles, a été publiée dans un journal du Moyen-Orient.
source: le telegramme
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