Droits des détenus et loi 5: lorsque les pratiques ne suivent pas les réformes législatives



En novembre, Avocats sans frontières (ASF) et le Barreau tunisien (ONAT) ont lancé une campagne pour accélérer la mise en œuvre de la législation visant à protéger les droits des détenus. Près de deux ans se sont écoulés depuis que le parlement a voté la réforme du code pénal tunisien par l'adoption de la loi n ° 5-2016, plus connue sous le nom de loi 5. Et pourtant, statistiques et témoignages indiquent que les abus commis par les fonctionnaires et les centres de détention restent banals. Que faudra-t-il pour remplacer les anciennes pratiques par les procédures prévues dans la nouvelle législation?




Un manifestant à Tunis portant une affiche qui dit: "Dernières nouvelles: la police et la justice dans une position indécente"


Lors de son adoption le 2 février 2016, la loi 5 a été présentée comme une « victoire judiciaire » et une « étape décisive » pour les droits de l'homme en Tunisie. La mesure, qui a pris effet le 1er juin 2016, a abrogé les articles 13 et 57 du Code de procédure pénale (CPP) et inclut de nouvelles dispositions conformes à la constitution ainsi que des conventions internationales concernant l'accès à la justice. Parmi ses points les plus importants, la loi 5 réduit la période de détention de 72 à 48 heures, avec la possibilité d'une prolongation de 24 heures dans le cas d'infractions mineures, ou de 48 heures dans le cas de crimes. La détention et sa prolongation doivent être autorisées par écrit par le procureur. La police judiciaire est tenue d'informer le suspect en garde à vue « dans la langue qu'il comprend »Du motif de sa détention et de ses droits à un examen médical immédiat et à l'accès à un avocat. De plus, la police judiciaire est tenue d'informer un membre de la famille, ou toute personne que le suspect choisit, de sa détention.


Des rapports publiés par Human Rights Watch , Amnesty International et l' Organisation internationale contre la torture (OMCT) indiquent que la réforme législative est loin de mettre un terme aux mauvais traitements infligés aux personnes détenues. Les réticences à modifier le mode opératoire des procédures pénales d'un côté et l'ignorance des nouveaux droits par les citoyens ont empêché l'application de la loi. Dans ce contexte, ASF et l'ONAT ont lancé une campagne pour éduquer les citoyens sur leurs droits dans le cadre de la nouvelle législation. En plus des informations « caravanes » organisées dans le Grand Tunis (Tunis, Ariana, Manouba, Ben Arous), « Apply Law 5 » utilise une vidéo humoristiquemettant en vedette des personnages de l'émission de télévision populaire «Bolice» pour familiariser les citoyens avec leurs droits en détention préventive. Lors d'une conférence de presse le 14 novembre, un panel d'avocats de l'ASF et de l'ONAT a présenté l'initiative et fait le point sur l'année et demie écoulée depuis l'entrée en vigueur de la mesure. Citant des chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur, l'avocat Dhaker Aloui a rapporté que seulement 19% des 25 000 détenus dans les postes de police sont accompagnés d'un avocat et que seulement 2% ont le droit de désigner l'avocat de leur choix.


S'exprimant avec Nawaat, l'avocat et militant des droits de l'homme Ghazi Mrabet indique que « aujourd'hui, plus d'un an après, les chiffres montrent que les violations se poursuivent, que la présence d'un avocat, par exemple, reste rare. Les agressions contre les citoyens pendant l'interrogatoire se poursuivent. Un rapport entier peut être écrit puis détruit. Pourquoi? A cause de l'hypocrisie. Pendant toute une année, tout le monde parle de la façon dont la loi a changé - mais elle n'est pas appliquée ». Outre le manque de sensibilisation du public à la nouvelle législation, le principal obstacle à sa mise en œuvre, Antonio Manganella, directeur national d'ASF, explique à Nawaat un manque de coordination entre la police judiciaire, les avocats et les procureurs. Il souligne également que la loi ne favorise pas l'égalité d'accès aux droits, en particulier pour les situation de vulnérabilité socio-économique ». En effet, la loi garantit la mise à disposition gratuite d'un avocat dans les cas d'infractions graves, alors que la majorité des détenus sont soupçonnés de violations mineures et n'ont pas nécessairement les moyens d'engager leur propre avocat.






Avec l'adoption de la Loi 5, remarque Manganella, « il existe un document, un engagement formel de l'Etat et du législateur pour l'acquisition d'un nouveau droit pour les citoyens ». D'un point de vue réaliste, poursuit-il, « un véritable changement, une rupture solide avec les anciennes pratiques » n'a pas encore eu lieu. Il suggère qu'un mouvement modeste mais concret vers cette rupture sera «les avocats, le ministère de la Justice et le ministère de l'Intérieur assis autour d'une table » pour se reconnaître, pour coordonner le rôle que chacun a à jouer et la difficulté chaque acteur fait face à ce qui a déjà été convenu par écrit.
source: Nawat

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