Lina Ben Mhenni, blogueuse de la révolution tunisienne
- Lina Ben Mhenni : « En Tunisie, les blogueurs ont fait le travail des journalistes. »Photo : Thomas BREGARDIS - Ouest-France
Elle est l’une des égéries de la révolution-éclair tunisienne… par Net interposé. Lina Ben Mhenni, 27 ans, a appelé au soulèvement sur son blog et témoigné des événements en ligne.
La révolution tunisienne en direct sur internet
C’est un petit bout de femme aux yeux noirs, habillée simplement mais soignée comme le sont les Orientales, sourcils parfaitement épilés et cheveux lissés. Elle a l’air un peu effrayée d’être là, devant ces journalistes venus l’entendre.
Lina Ben Mhenni est pourtant une des égéries de la révolution-éclair tunisienne qui a conduit à la chute de Ben Ali, le 14 janvier d’une année 2011 riche de promesses pour les pays arabes. Une révolutionnaire d’un genre nouveau, qui a mené son combat sur le web. Sur son blog, A Tunisian Girl, elle a sans relâche appelé au soulèvement et témoigné en ligne.
Grâce à des cyberactivistes comme cette jeune femme de 27 ans, le monde a pu suivre la révolution en direct. Le bruit et la fureur de son blog sont parvenus aux oreilles d’Indigène, l’heureux éditeur du Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Lina Ben Mhenni y signe un petit livre dans la même veine, qui va lui valoir les honneurs des journaux et des plateaux télé français, mais aussi allemands.
« Passer du monde virtuel au monde réel ! »
En Tunisie, Lina n’a pas attendu le printemps arabe pour être connue des Internautes… ni pour être l’objet des attentions de la police. Elle a commencé à bloguer en 2007, sous le pseudo de Nightclubbeuse. Pas tant pour raconter ses folles nuits en boîte, bien qu’elle s’y rende fréquemment à l’époque. « Je voulais parler de problèmes sociaux, mais en Tunisie c’était impossible. J’ai pensé que ça détournerait l’attention. J’aimais observer les gens et je voyais que certains dépensaient beaucoup d’argent, alors que d’autres n’avaient rien. »
Elle se lance sur Facebook, y rencontre des défenseurs des droits de l’homme, des membres des partis d’opposition. En 2008, elle s’insurge aux côtés des travailleurs du bassin minier. Puis elle soutient des étudiants privés d’études à cause de leurs activités politiques.
Avec d’autres Internautes, elle lance des manifestations contre la censure, elle qui l’a subie. « C’était la première fois que l’on arrivait à convaincre des gens de passer du monde virtuel au monde réel ! »
« Je suis timide, Internet m’a beaucoup aidée »
Lina se dit programmée pour être activiste. « Mon père, employé du ministère des Transports, militant de gauche sous Bourguiba, a passé six ans en prison et a été torturé. Ma mère, enseignante d’arabe, faisait partie de l’Union des étudiants. Et mon frère a été un des fondateurs de la section tunisienne d’Amnesty International ! »
Chez elle, on ne regarde pas les séries mexicaines ou égyptiennes idiotes à la télé. On lit, on parle politique et géopolitique. Toute jeune, elle noircit des bouts de papier, écrit un journal intime dans lequel elle parle aussi des travers de la société. Avec le web, elle trouve le moyen idéal de s’exprimer. « Je suis timide. J’ai du mal à parler en public. Internet m’a beaucoup aidée. »
Sur son blog, elle écrit tour à tour en français, en anglais, en arabe. « Cela varie selon mes humeurs. Et pendant la Révolution c’était l’anglais, pour toucher plus de monde. » La page Facebook A Tunisian Girl compte 22 000 abonnés.
La jeune femme descend aussi dans l’arène, défiant sa santé fragile, elle qui a dû se faire greffer un rein. « Un cyberactiviste doit aller sur le terrain, sentir ce que vivent les autres. On dit que la Révolution tunisienne est celle du Net, mais si elle n’était que ça, elle n’aurait jamais abouti ! »
« Les blogueurs ont fait le travail des journalistes ! »
Elle goûte au reportage, adore prendre des photos, même s’il faut faire face aux balles ou aux bombes lacrymogènes. Ce qui lui vaut l’inimitié des journalistes de son pays. « Les blogueurs ont fait leur travail, ils étaient absents ! »
Elle a pris des photos de personnes tuées par la police, lors des manifestations de Sidi Bouzid par exemple, ville dans laquelle un jeune marchand ambulant s’est immolé par le feu. À envoyé des informations aux chaînes étrangères, dont TF1 etFrance 24. Aujourd’hui, ça ne l’intéresse plus. « Tout le monde peut prendre des photos dans la rue ! »
« Tu ferais mieux de rester libre… »
Elle préfère être efficace autrement, en donnant des conférences par exemple, et elle continue à bloguer. Elle est déçue des suites de la Révolution, mais n’intégrera pas pour autant un parti politique. Trop indépendante…
Professeur d’anglais à l’université de Tunis, Lina compte reprendre son doctorat de linguistique. Il lui faudra tout recommencer à zéro. En 2010, lors d’un cambriolage qu’elle attribue à la police, on lui a volé ses ordinateurs et son travail.
Peut-être, quand elle aura le temps, aura-t-elle à nouveau un petit ami, elle qui est sortie avec des étudiants et des journalistes activistes. Mais lorsqu’elle parle mariage à ses parents ceux-ci lui disent : « Tu ferais mieux de rester libre… »
Florence PITARD.
source: ouest-france
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