Le petit marchand tunisien qui a semé le printemps arabe


Mohamed Bouazizi s'est immolé le 17 décembre dans une petite ville de Tunisie, déclenchant une émotion sans précédent dans le pays. C'est le point de départ de la révolution. Voici la véritable histoire du marchand ambulant de Sidi Bouzid. Pour ses amis et sa famille, tout est parti d'une gifle qu'il aurait reçue d'une policière. Être frappé par une femme : la pire des offenses selon le code d'honneur des Hammami, les habitants de la région.

Mohamed Bouazizi devant la tombe de son cousin homonyme.
TUNISIE. Sidi Bouzid. De notre envoyé spécial.
L'homme vend des cigarettes à l'unité et de minuscules verres de thé noir en face du Gouvernorat. Il s'appelle Mourdi, c'est l'un des petits marchands des rues qui, sous Ben Ali, passaient leur temps à fuir la police dans la ville de Sidi Bouzid.
« Le jour où Mohamed Bouazizi s'est immolé, on n'avait pas arrêté de se faire chasser par les municipaux ». Il montre l'endroit où il a installé sa carriole, contre un mur, à l'ombre d'un pin d'Alep. « Je venais de me faire virer quand Mohamed est arrivé. La place était libre. »
Quand le dictateur Ben Ali était venu voir Mohamed Bouazizi à l'hôpital avant sa mort.
Il est 11 h, ce vendredi 17 décembre. Depuis tôt le matin, le jeune homme, âgé de 27 ans, joue au chat et à la souris avec les forces de l'ordre. Les vendeurs à la sauvette sont interdits sur les trottoirs. Aux récalcitrants, la police confisque le matériel. Dresse des amendes, souvent l'équivalent de plusieurs journées de travail. Mohamed Bouazizi est la bête noire des uniformes. Il s'est souvent fait attraper, a pris des PV. Le marchand de légumes est toujours revenu.
Ce matin-là, le ton monte. Sur ce qui s'est passé précisément, il existe deux versions. Celle qui a d'abord couru, abondée par des parents de Mohamed. La femme policière lui a demandé de s'en aller. Elle s'est emparée des poids de sa balance. Furieux, le jeune homme lui a dit : « Comment je vais faire pour peser ? Avec tes seins, peut-être ? ». Elle lui a alors asséné une paire de gifles. L'offense mortelle, la pire des humiliations. Se faire frapper par une femme en public.
Celui qui perd ainsi sa « karama » (dignité) ne peut plus être considéré comme un « rajel » (homme), dit-on chez les Hammami, les habitants de la région. Mohamed Bouazizi se rend dans une échoppe voisine et achète une bouteille de diluant. Il revient sur le terre-plein, s'asperge du produit et craque une allumette. Il sera transporté dans un état grave à l'hôpital où il mourra le 4 janvier.
Et la version numéro 2. Celle retenue par la justice qui, au procès de la policière, n'a plus trouvé aucun témoin pour confirmer les gifles. Une version propre à apaiser les esprits, à réconcilier tout un chacun. Pas forcément la plus plausible.
Le soir même, la police tire
Sitôt connue, en tout cas, la nouvelle du suicide par le feu du petit marchand se répand à une vitesse incroyable. Le soir même, des manifestations éclatent dans six villes, dont Sidi Bouzid. La police tire. Un mort à Menzel Bouzaïène, le premier. La révolution est en marche, avec le slogan qui va faire le tour du monde : « Dégage ! »C'est le début du printemps arabe.
À une dizaine de kilomètres de Bouzid, nous rencontrons Mohamed Bouazizi, 33 ans, son homonyme et cousin. Pour lui, aucun doute, Mohamed s'est suicidé à cause de l'offense, si grave qu'on ne peut y survivre « ou bien en tuant la femme ». D'un geste du bras, il montre l'étendue de rocailles : « Notre famille est ici depuis des générationsTout cela, c'est à l'ouled (tribu) Bouazizi, jusqu'aux montagnes ».
La vie est aride sur ce plateau planté de cactus et de figuiers de barbarie. À son mariage, le père du futur déclencheur de la révolution, s'est installé en ville. Mohamed est né dans le quartier populaire de Nour El Gharbi. Il a un frère et une soeur, puis quatre demi-frères et soeurs car sa mère, devenue veuve, s'est remariée. « Il n'était pas très bon à l'école. ça ne l'intéressait pas », raconte Farach Marzougui, qui se souvient du jour où, tout juste adolescents, ils ont fumé ensemble leur première cigarette.
À 14 ans, il quitte l'école, achète une carriole et s'en va faire le marchand ambulant de fruits et légumes. « Dans le quartier, on s'est mis à l'appeler “Basbous”, “chariot” en arabe », dit Fouad, un jeune voisin. Mohamed gagne son indépendance, s'installe dans une petite pièce collée contre la minuscule maison de plain-pied où s'entasse la famille. Il reste un garçon rieur, aimable. « Mais il pouvait aussi s'énerver en discutant du prix avec un client », raconte Abdelrahmane, qui travaille comme porteur sur les marchés.
Depuis sa mort, des rumeurs courent sur le compte de Bouazizi. On dit qu'il était amoureux d'une fille du quartier, qu'il économisait pour l'épouser. « Faux ! Mohamed ne fréquentait pas de fille. Il ne buvait pas d'alcool non plus », rectifie son copain Farach.
La famille Bouazizi a quitté Sidi Bouzid, petite ville poussiéreuse et déshéritée. Les chômeurs y sont toujours légion. Rien n'a changé, à ceci près qu'on y respire maintenant l'air de la liberté. « Et que je n'ai plus d'ennuis avec la police », sourit, goguenard, Mourdi, le vendeur de cigarettes et de thé noir.
Marc MAHUZIER.

source: ouest-france

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