L'avant-goût de la liberté délie les langues en Libye


Devant les ruines de l'hôtel Wenzrik, dans le centre de Tripoli, un homme livre ses sentiments durant cinq bonnes minutes sur la situation en Libye en présence de journalistes, bien que des agents du pouvoir commencent à le serrer de près.

"(La guerre) dure depuis longtemps et les gens aspirent à un règlement", dit-il en se présentant comme un commerçant indépendant du nom de Zarroug. "D'une façon ou d'une autre, le changement viendra."
L'hôtel a été bombardé de nuit la semaine dernière alors qu'il était vide. Le gouvernement libyen a dénoncé à cette occasion un exemple d'attaque délibérée de l'Otan contre des civils dans son offensive contre le colonel Mouammar Kadhafi.
Un habitant a rapporté que l'hôtel était fréquenté par des représentants du gouvernement.
Comme on lui demande s'il est prêt à répondre à d'autres questions, Zarroug passe nerveusement les doigts dans sa barbe grisonnante en scrutant la foule des badauds, des journalistes et des "sentinelles" du gouvernement.
"Désolé, il y a trop d'yeux ici", déclare-t-il calmement mais fermement. Après un rapide au revoir, il s'éclipse.
Malgré une crainte évidente de la répression, les Libyens ont eu un avant-goût de la liberté après 41 ans de pouvoir kadhafiste et leur parole se libère de plus en plus souvent.
Quatre mois après le début de l'insurrection, deux Libyes n'en sont pas moins en présence.
Dans l'une, des responsables comme le Premier ministre, Al Bagdadi Ali al Mahmoudi, affirment que "tous les Libyens" sont derrière Kadhafi. Si certains s'opposent à lui, soutiennent-ils, ce sont des activistes d'Al Qaïda ou des criminels.
Dans cette Libye-là, des foules d'habitants brandissant des portraits de Mouammar Kadhafi sont présentées à des journalistes au cours de visites encadrées par des agents du pouvoir - souvent leurs seules occasions de quitter l'hôtel.
Mais dans l'autre Libye, on rencontre Zarroug et d'autres personnes dont les langues se délient alors que le risque de représailles n'est jamais loin. Elles adoptent souvent de faux noms ou refusent de s'identifier, mais sans renoncer à parler.
"Je crois que la plupart des gens d'ici sont satisfaits des bombardements de l'Otan", dit un certain Tony sur l'emplacement d'un édifice touché par une bombe de l'Alliance atlantique le week-end dernier. Plusieurs civils ont péri dans l'attaque.
"Ils n'aiment pas ça", ajoute-t-il en désignant les restes du bâtiment. "Mais ils n'aiment pas le régime non plus."
Des agents du gouvernement se tiennent à quelques pas de Tony, dont les mains, lorsqu'il parle, tremblent au point qu'il peine à allumer sa cigarette. Au bout de quelques minutes, il disparaît à son tour dans la foule.
On ne doit cependant pas sous-estimer le nombre de partisans que compte le colonel Kadhafi au-delà des forces de sécurité.
"Il serait naïf de croire que Kadhafi est sans soutien", dit un militant du Mouvement des générations libres (opposition) qui s'identifie sous le nom de Niz et a rencontré des journalistes de Reuters cette semaine. "C'est évident qu'il en a."
Mais ceux qui n'apprécient pas le "Frère guide" retrouvent la parole et l'impatience les gagne.
"On a un énorme besoin de parler parce que nous ne pouvions rien dire", confiait lors de la même rencontre une militante issue de la Coalition des jeunes femmes de Tripoli. Elle a pris pour nom "Amal", qui signifie espoir en arabe.
"A présent, on parle tout le temps. Les Libyens ont été opprimés durant près de 42 ans. Maintenant qu'ils ont un aperçu de la liberté, ils laissent libre cours à leur imagination", ajoutait-elle.
Une autre militante du même mouvement, Fatima, se montre résolue à faire l'expérience directe de la liberté et de l'indépendance, dont elle n'a que des notions livresques.
"Nous avons pris conscience que nous pouvions nous sacrifier pour la liberté (...) d'expression", dit-elle. "Je ferais tout pour pouvoir parler et faire connaître mon opinion au dehors."
Même à Abou Salim, quartier pro-Kadhafi de Tripoli, des reporters de Reuters ont rencontré lors d'une visite non encadrée des habitants très partagés. "Je suis sûr que les gens ne combattront pas pour le régime", a dit un commerçant qui a requis l'anonymat. "ON en a vraiment assez de Kadhafi."
Le langage est tout autre dans la Libye officielle.
Un agent du pouvoir a demandé à un journaliste de Reuters ce qu'il avait découvert à Abou Salim, mais il a aussitôt rejeté la réponse. "C'est impossible", a-t-il dit avec une grimace. "A Abou Salim, tout le monde aime Mouammar Kadhafi."
Philippe Bas-Rabérin pour le service français
Par Reuters
source: lexpress.fr

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