Les Français de Marrakech déterminés à rester
de notre envoyé spécial Boris Thiolay
Le 28 avril, la foule marrakchie se presse devant l'Argana, dont la terrasse a été dévastée par l'explosion d'une bombe.
REUTERS/Youssef Boudlal
L'attentat du 28 avril contre le restaurant Argana a frappé de stupeur la communauté française de la Ville ocre. Mais tous se disent déterminés à rester.
Assise devant un verre de thé, dans le patio de sa petite maison nichée au coeur de la médina de Marrakech, Souné Prolongeau-Wade est encore sous le choc. "Un restaurant de la place Jemaa el-Fna dévasté par une bombe, personne n'osait l'imaginer... Ici, nous vivons dans une quiétude totale, entourés de nos amis marocains", confie cette femme élégante, revêtue d'un caftan brodé. Résidente à Marrakech depuis 2002, Souné Prolongeau-Wade, 67 ans, y a dirigé l'Institut culturel français jusqu'en 2006. Tombée amoureuse de la Ville ocre et de ses habitants, elle a choisi d'y rester, pour écrire des livres et continuer de tisser des liens entre le Maroc et la France. "Habituellement, je traverse cette place tous les jours pour acheter mon journal et quelques légumes, au souk, poursuit-elle. Mais, là, il me faudra un peu de temps avant d'y retourner. Je n'ai pas peur. Simplement, voir ce lieu exceptionnel profané et endeuillé m'est insupportable."
Cet attentat, qui a fait 17 morts, dont 8 Français, et 21 blessés, a ébranlé les certitudes de la communauté française de Marrakech (950 000 habitants).
Tous veulent croire à "un acte isolé"
La troisième ville du royaume accueille environ 11.000 ressortissants hexagonaux permanents, dont 6.300 enregistrés auprès du consulat de France, dans l'ancien quartier "européen" de Guéliz. Parmi eux, beaucoup de retraités venus couler des jours paisibles sous le soleil marrakchi. Certains ont misé toutes leurs économies pour s'offrir une maison, ou un appartement, à proximité d'un golf. D'autres possèdent de somptueuses villas cachées dans la palmeraie. Il y a aussi tous les Français qui travaillent dans le tourisme, le poumon économique de la ville: propriétaires d'hôtels de luxe, de riads transformés en maisons d'hôtes, patrons d'agences de voyage... Eux redoutent plus encore l'impact désastreux, en termes d'image et de fréquentation, que risque d'avoir ce drame. Chaque année, 1,6 million de touristes, dont une moitié de Français, séjournent à Marrakech.
Certes, tous ces professionnels veulent croire à un "acte isolé, aux antipodes de la tradition marocaine d'hospitalité et d'ouverture à l'autre". Tous assurent également ne rien vouloir changer à leurs habitudes. "Je vais continuer à me promener tranquillement dans les ruelles, comme avant", prévient Thierry, 35 ans, directeur d'un club-restaurant huppé, fréquenté par les stars et la jet-set internationale. "En visant la place Jemaa el-Fna, où se côtoient, par milliers, touristes, personnalités du monde entier et Marocains, les terroristes ont voulu s'attaquer à un symbole: une ville tolérante, cosmopolite et festive, unique dans le monde arabe, ajoute Thierry. Pour moi, il n'est pas question de renoncer. Partir, ou se replier sur soi, ce serait donner raison aux islamistes." Il n'empêche: l'onde de choc a eu des effets immédiats. Dans les heures qui ont suivi l'attentat, des visiteurs ont plié bagage, y compris à la Mamounia, le palace légendaire ouvert en 1929. D'autres établissements voient les annulations de séjour se multiplier.
Resserrer encore plus les liens entre les communautés
Jean-Jacques Bouchet, directeur général au Maroc de l'agence de voyages Fram, vit à Marrakech depuis 2002. Dans son bureau de plain-pied, sur l'avenue Mohammed-V, il s'attend à une période difficile: "Avec la crise financière et les révolutions arabes, la fréquentation a baissé de 40 % ces derniers mois. On venait d'enregistrer un léger mieux, mais cet attentat est un coup de massue." Il se reprend: "Je suis sûr que ce drame va pousser les Français à se serrer les coudes encore davantage, mais aussi rapprocher les différentes communautés entre elles. Nous devons tous montrer l'exemple." Car les Marrakchis, eux aussi, sont frappés de plein fouet. Le tourisme engendre des milliers d'emplois directs et indirects pour la population.
Juste en face de la mosquée de la Kasbah, Bernard et Nicole Mariotti ont rénové, depuis 2005, un joli riad, aménagé en maison d'hôtes. Leurs cinq employés marocains les appellent affectueusement "papa" et "maman". Ils se font la bise le matin. "Le jour où nous arrêterons de gérer notre riad, nous resterons vivre à Marrakech, affirme Bernard Mariotti, 70 ans. Notre meilleure protection, ce sont nos voisins et amis. Ils veillent sur nous." En attendant, la sécurité a été renforcée à l'entrée de tous les hôtels, avec vigiles, contrôles d'identité et détecteurs de métaux. Depuis l'attentat, le Quai d'Orsay recommande "aux Français résidents et de passage au Maroc de faire preuve de la plus grande vigilance dans les lieux publics et de rassemblement".
A Marrakech, le consulat de France n'a pas donné d'instructions supplémentaires à ses ressortissants. Sur la place Jemaa el-Fna, touristes et habitants ont repris leurs déambulations autour des musiciens gnaouas et des vendeurs de grillades. Ici, tous veulent croire les diseuses de bonne aventure voilées: elles annoncent des jours meilleurs.
source: Lexpress
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