Les racines de la révolte en Libye
Par Pauline Tissot, publié le 22/02/2011 à 06:30

source: lexpress
Les révoltes en Libye ont fait près de 230 morts, selon l'ONG Human Rights Watch, depuis le 17 février dernier. Ici, des manifestants devant l'ambassade de Libye en Grande-Bretagne, à Londres.
REUTERS/Luke MacGregor
Après la Tunisie et l'Egypte, la contestation du monde arabe a gagné la Libye. La crise sociale, la situation politique, la censure...LEXPRESS.fr revient sur les origines de la crise.
Chômage des jeunes et frustration sociale, un cocktail explosif
Comparé à ses voisins d'Afrique du Nord, la Libye est un pays relativement riche, grâce à sa production de pétrole. Le pays détient les plus grosses réserves d'Afrique et c'est un des quatre principaux producteurs du continent. Les indicateurs sociaux sont aussi à son avantage, par rapport aux autres pays de la région. La Libye enregistrait ainsi en 2008 un PNB par habitant de 9500 dollars - près du double de celui de l'Egypte - ainsi qu'un taux de pauvreté de 7,4% - contre 16,9% en Egypte. Enfin, l'indice de développement humain (IDH) en Libye est le plus élevé d'Afrique, d'après les Nations Unies, à 0,840. Il est de 0,769 en Tunisie et de 0,703 en Egypte.
Portrait trop flatteur? Oui. D'abord, la Libye est située au 146e rang sur 180 dans le classement de Transparency International sur la corruption, contre le 59e rang pour la Tunisie et le 98e pour l'Egypte. Selon le site Libyafeb17.com, dédié à la contestation en Libye, le salaire moyen dans le pays serait de 200 dollars par mois, alors qu'en Tunisie il s'affichait en 2010 à près de 350 dollars par mois. Plus alarmant encore, le taux de chômage serait le plus élevé des cinq pays d'Afrique du Nord, selon le site Lesafriques.com. Il était ainsi de 30% en 2009, d'après des estimations du Ministère des Affaires étrangères français. Les jeunes seraientparticulièrement touchés. Le meme cocktail explosif qui a conduit les voisins égyptien et tunisien à des révoltes sans précédént, et à la chute de leurs dirigeants.
Au début du mois de janvier, afin d'étouffer dans l'oeuf les velléités de contestation, Tripoli avait supprimé les taxes et droits de douane sur les produits alimentaires. Les autorités libyennes avaient également annoncé la création d'un fonds d'investissement et de développement local qui devait se concentrer sur la fourniture de logements., mais n'avaient rien annoncé sur l'emploi.
La jeune génération contourne la censure
Selon Reporters Sans Frontières, "alors qu'en 2007, les autorités avaient amorcé une ouverture dans le domaine des libertés fondamentales, nous assistons à un véritable recul aujourd'hui." En effet, selon RSF, depuis le début de l'année 2010, une virulente campagne contre les médias du pays est orchestrée par les autorités.
En janvier 2010, Oea et Quryana, premiers journaux privés lancés par la société Al-Ghad en août 2007, ont dû cesser de paraître, après le refus de l'Autorité générale de la presse de continuer à les imprimer.
La situation s'est aggravée depuis le début de la contestation en Libye. Ce samedi, le colonel Kadhafi a décidé de couper l'accès à huits sites Internet, dont Youtube. Des sites tels que Libya Al-Youm, Al-Manara, Jeel Libya, Akhbar Libya, Libya Al-Mustakbal, Libya Watanna ne sont par ailleurs plus accessibles depuis le 24 janvier dernier. Enfin, quatre journalistes de l'émission "Massaa Al-Kheir Benghazi" (Bonsoir Benghazi), de la radio Benghazi, ont été arrêtés le 16 février dernier, puis relâchés par la suite, indique RSF.
"Aujourd'hui, il n'y a pas de médias libres en Libye et le régime a interdit à des journalistes d'aller à Benghazi [première ville où la contestation est apparue, ndlr]. Ensuite, à la différence de la Tunisie et de l'Egypte, ni Al-Jazira ni CNN ne sont présentes à Tripoli", ajoute pour sa part Khaled Salah, président de la ligue de solidarité libyenne basée à Genève, interrogé par le site Swissinfo.com.
Afin de contourner la censure du pouvoir sur Internet, les jeunes Libyens, comme leur voisins égyptien et tunisien, utilisent Internet pour se mobiliser et exiger la chute de leur chef d'Etat, le colonel Kadhafi. Des clips de chanteurs de rap (voir ci-dessous), des groupes Facebook, des campagnes de sensibilisation, plusieursvidéos remémorant les manifestations du 17 février 2006 violemment réprimées... La Toile est devenue la caisse de résonance des contestataires libyens.
Un système politique folklorique, un pays qui risque la division
La Libye est dotée d'un système politique très original. Depuis l'accession au pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi en 1969, le pays n'a pas de Constitution. Selon Davis John, qui publie le livre Le système lybien. Les tribus et la révolution, ce serait le Livre Vertpublié par Kadhafi en 1977, qui tiendrait lieu de texte constitutionnel de la "Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste", nom officiel de l'Etat libyen.
Une singularité législative qui participe au côté folklorique du chef de l'Etat libyien, parfaitement symbolisé par la célébration en grande pompe du 40ème anniversaire de l'arrivée au pouvoir du colonel Kadhafi, durant laquelle un "mega-show", mobilisant près de 1500 techniciens et danseurs, se jouait sur la plus grande scène jamais construite au monde.
Dans son livre, Davis John décrit la Libye comme un "non Etat". Selon lui, "le colonel est contre la démocratie représentative", et "dénonce tout gouvernement comme illégitime, tout Etat comme opresseur".
Le système Kadhafi est organisé en trois pôles: le Guide de la Révolution - Mouammar Kadhafi lui-meme - ; un Conseil général du peuple, composé de 16 représentants, et un Conseil populaire général qui fait office de gouvernement. "Kadhafi continue de diriger le pays sans occuper aucun poste officiel, dans des institutions qui ne sont elles-mêmes pas réellement codifiées", résume le Ministère des affaires étrangères français.
A cela s'ajoute la subdivision du pays en tribus. Et c'est là que le bât blesse. La semaine dernière, un chef tribal a émis des menaces de suspension des exportations de pétrole, si la répression de la contestation ne s'arrêtait pas. Ce lundi, le fils Kadhafi, Seïf Al-Islam, agiait même dans un discours télévisé la menace d'"une guerre civile" et d'un bain de sang. Il a mis en garde les manifestants contre une division du pays en plusieurs Etats.
La famille Kadhafi aux manettes de l'armée?
Les opposants au pouvoir Kadhafi, dénoncent la mainmise de la famille du colonel Kadhafi sur l'appareil d'Etat. Deux des fils Kadhafi, Seïf et Saadi, sont de hauts responsables dans la hiérachie de l'armée libyienne.
Pour l'instant, les yeux sont rivés sur cette armée, qui, dans les cas tunisien et égyptien, a joué un rôle clef en refusant de tirer sur les manifestants. Ahmed el Gasir, de l'ONG Human Rights Solidarity, rappelle pour sa part que "Kadhafi est un militaire, mais que, au fil des ans, il a marginalisé l'armée régulière et instauré ce qu'il appelle des bataillons de sécurité, plus puissants que l'armée. Mais nous savons déjà qu'à Benghazi comme à Al Baïda, certains membres de ces bataillons ont refusé de recourir à la force." Mais il ajoute: "Jeudi matin, deux avions sont arrivés avec un autre bataillon spécial commandé par Khamis Kadhafi, le plus jeune fils du dictateur. Ces gens ne sont pas des Libyens, mais des mercenaires africains. Ce sont eux qui ont mené la répression."
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