Les Américains au milieu du gué



Philippe Paquet
Mis en ligne le 12/02/2011
Pressés par des objectifs contradictoires, ils ont jusqu’ici navigué à vue.
Éclairage
La gestion de la crise égyptienne est un casse-tête, voire un supplice chinois, pour l’administration Obama. Déchirée entre la promotion des valeurs démocratiques, le souci de préserver la stabilité au Moyen-Orient (et la sécurité d’Israël en tout premier lieu), la fidélité à un vieil allié, la nécessité de barrer la route à l’islamisme et l’obligation d’éviter une flambée des prix pétroliers, la Maison-Blanche ne sait plus sur quel pied danser, ni quel air chanter, se rangeant tantôt derrière les jeunes manifestants dont elle déclare partager la volonté de changement, appelant tantôt de ses vœux une transition progressive qui ménagerait en partie au moins l’ordre établi.
Si l’on a par moments des élans euphoriques à Washington en voyant l’Egypte écrire une nouvelle page de son Histoire, on y est vite rattrapé par des sursauts d’angoisse à l’idée que la révolution soit par définition source de rupture et saut dans l’inconnu. La compréhension que les dirigeants américains ont des événements au Caire n’est pas facilitée par les ratés de la CIA. Elle qui n’avait pas vu Ben Ali tomber a été un peu vite jeudi pour annoncer le départ deMoubarak. L’agence se fondait, a expliqué son directeur, Leon Panetta, sur des informations de presse, pas sur du "renseignement" stricto sensu Cela fait un peu court s’agissant des services secrets de l’unique hyperpuissance et il se dit que M. Obama n’en est pas follement content.
Ces déficiences aggravent les difficultés qu’ont les responsables américains à manœuvrer sur l’échiquier égyptien. On sait que, après la mort de Nasser (en 1970) et la guerre du Kippour (1973) qui fut l’ultime soubresaut posthume de l’idéologie nassérienne, l’Egypte devint, sous les présidences de Sadate et de Moubarak, le plus important des alliés de l’Amérique en dehors de l’Otan et d’Israël.
Des milliards de dollars d’aide économique et militaire furent déversés afin de cimenter la paix avec Israël, de sécuriser le transit sur le canal de Suez (crucial autant pour le passage de la marine marchande que pour la circulation des bâtiments de guerre américains entre mer Méditerranée et océan Indien), de modérer la voix du monde arabe dans les enceintes internationales et, plus récemment, de consolider la lutte contre le terrorisme.
Les relations entre Le Caire et Washington s’étaient, toutefois, dégradées au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Si Hosni Moubarak avait naturellement condamné ceux-ci, il s’était en revanche refusé à participer à la coalition internationale en Afghanistan. Il avait plus encore dénoncé l’intervention américaine en Irak et a toujours refusé d’y envoyer des troupes, au grand dam des Etats-Unis qui pouvaient s’estimer payés d’ingratitude.
Cette déception permet aussi de comprendre pourquoi la Maison-Blanche n’est sans doute pas fâchée de tourner la page Moubarak. Elle le ferait même avec empressement si elle avait des certitudes sur la suite de la pièce. Or le retrait du dictateur n’a rien clarifié. L’homme sur qui Washington fondait largement ses espoirs d’une transition ordonnée, le vice-président Omar Souleimane, s’est en effet discrédité, de l’avis des analystes américains, en s’affichant ostensiblement jeudi soir en fidèle du président sortant. Cela n’en fait plus un médiateur crédible et encore moins un interlocuteur utile pour l’administration Obama. C’est vers l’armée qu’il lui faudra donc regarder, une armée égyptienne qui recevra cette année son chèque de 1,3 milliard de dollars.

source: lalibre.be

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La communauté internationale doit-elle intervenir en Syrie ?

Une famille de victime a refusé l’aide de 20000 dinars

Deux nouvelles victimes dans des manifestations en Égypte