Tunisie : de la difficulté de se défaire de l'ancien régim


Plus important et certainement plus difficile que de pousser le dictateur et son clan mafieux à prendre la fuite, le démantèlement du corps et de l'esprit du Ben-alisme est le réel défi d'une transition démocratique en Tunisie.

L'Etat Benalien hérité est avant tout un état policier qui repose sur un nombre d'institutions de contrôle et de réseaux d'influence enracinées dans la population, ce qui a fortement façonné les comportements de tous durant 23 ans. Sa mission principale consiste à surveiller, quadriller la population et à réprimer avec violence tout ce qui pourrait sortir du cadre et gêner l'ordre dictatorial.

Les récents évènements de la Casbah démontrent parfaitement la prégnance de la logique policière et répressive. "
Ordre n'a pas été donné de faire évacuer la place", affirme pourtant un ministre. Mais la légitime défense invoquée par le ministère de l'intérieur face aux provocations de certains "manifestants" infiltrés sur place ne saurait justifier les attaques violentes et les pratiques douteuses d'organes plus ou moins autorisés de la Police comme cela a été relaté par de nombreux témoignages. Tout laisse à croire que des groupes de l'ancien régime, formels et informels, dans l'Etat et à son extérieur, cherchent toujours à provoquer des tensions, à manipuler les manifestants et échappent encore au contrôle. Ces éléments discrets et imprévisibles que les tunisiens nomment "milices" tentent encore de semer le trouble. Seule note positive dans l'affaire : la justice a su s'imposer en ordonnant la libération immédiate des manifestants arrêtés. Le pouvoir de la Police n'a pas été au dessus de celui de la justice, pour une fois...

Nous héritons aussi d'une scène politique pauvre et constituée d'un parti hégémonique, sans adversaires politiques, qui tournait dans le vide depuis de nombreuses années et entretenait de multiples réseaux de corruption et de clientélisme. En face une opposition faible, pas assez populaire et déstructurée essaie de gagner la confiance du public. Une zone d'ombre subsiste toujours sur l'influence réelle et sur les intentions du parti islamiste qui a bruyamment accueilli aujourd'hui son chef en exil. Mais une chose est sûre, la seule véritable force capable d'exercer une pression est celle de la rue qui, sans être représentée, a réussi à faire exclure tous les ministres sortants du gouvernement de transition, exception faite du premier ministre. L'espoir repose
aussi sur les trois commissions d'enquête et de travail sur les réformes à venir et sur leur capacité à impulser un changement fort du système actuel et à déverrouiller le système Ben Ali.

Pour finir, un petit retour dans le passé. Nous sommes début 1990, l'épouvantail intégriste et islamiste est dressé haut et fort par Ben Ali pour justifier un mouvement de répression de grande échelle, le verrouillage de l'information et de l'espace de débat public. Une majorité de tunisiens de classe moyenne et bourgeoise se rangent derrière Ben Ali et acceptent la chape de plomb, craignant l'étendue des troubles et le prolongement de l'instabilité. L'histoire nous apprend qu'accorder du crédit au gouvernement de façon aveugle et unanime ne nous a jamais réussi en Tunisie, ni les concessions cédées au nom de la sécurité et de la stabilité. Il serait temps d'arrêter d'avoir peur de tout : des islamistes, des communistes, des milices, de la Police, etc... et de les affronter sur le terrain idéologique et dans le cadre de la loi plutôt que sur le plan sécuritaire...La vigilance, l'esprit critique et la liberté d'expression sont des armes efficaces pour y parvenir.


Crédit Photo : © Philippe de Poulpiquet / Maxppp

source: carpediem

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