L’audace nouvelle des Egyptiens
REPORTAGEQuelque 20 000 manifestants ont défilé hier contre le régime. Trois personnes auraient été tuées.
Des manifestants au Caire, le 25 janvier 2011. (© AFP Mohammed Abed)
«Moubarak, dégage.» La pancarte est écrite en français, l’homme qui la porte serre les mâchoires. Sur la place Tahrir, en plein centre du Caire, ils sont comme lui des milliers, 15 000 à 20 000, encerclés par des cordons de police anti-émeute. Au pied du bâtiment blanc de la Ligue arabe, un camion blindé fonce, des grappes de manifestants accrochés au pare-chocs. «Moubarak, l’Arabie n’est pas loin !» crie la foule, allusion à l’ancien président tunisien Zine el-Abdine Ben Ali, réfugié à Riyad. Au regard des 18 millions d’habitants qui peuplent la capitale égyptienne, la mobilisation pourrait paraître infime. Elle est pourtant exceptionnelle, la plus importante que le Caire ait connue depuis 2003, et le déclenchement de la guerre en Irak. La foule est disparate, professeurs d’université, étudiants, mères de familles, islamistes aux barbes longues.Sermons.«Regardez ces jeunes, ils n’ont pas peur», se réjouit Magdi Hussein, un ingénieur de 57 ans, venu voir «si les Egyptiens sont aussi courageux que les Tunisiens».«Nous sommes diplômés, et sans emplois. Nous sommes jeunes, et sans avenir. Pas de liberté politique, pas de liberté économique. Alors on fait quoi ? On se met le feu ?» s’époumone un jeune homme, dans la fumée des gaz irritants. La semaine dernière, quatre personnes, au moins, se sont immolées en Egypte, gestes désespérés que les sermons des imams, dans les mosquées, ont condamnés, vendredi, sur l’injonction des autorités égyptiennes.
Ces scènes de foule aux poings brandis sont rarement vues en Egypte, où la loi d’urgence, en vigueur depuis plus de trente ans, a durablement calmé les ardeurs d’une population effrayée par la répression policière. «Mais si ça a été possible en Tunisie, ça doit l’être ici aussi», reprend Fatma, une mère de famille. Derrière elle, des centaines de policiers tentent de bloquer l’accès aux grands boulevards du centre-ville. A la veille de cette journée de colère, le ministre de l’Intérieur, Habib el-Adly, avait prévenu que tout acte illégal ou violent serait sévèrement réprimé. Les organisateurs de cette manifestation sont «inconscients», a-t-il martelé.
Mais d’ordinaire prompte à réprimer tout embryon de protestation, la police égyptienne semblait hier avoir reçu l’instruction de tout faire pour éviter que la situation ne dégénère. Alors que les manifestations sont généralement cantonnées sur des bouts de trottoirs, devant les syndicats ou l’université, les protestataires ont pu hier se déplacer dans Le Caire. «Ils ont appris la leçon des Tunisiens, ils ont compris qu’il fallait laisser la colère s’exprimer», veulent croire plusieurs manifestants.
Dans la foule, une jeune fille trépigne, son portable à la main. Les principaux réseaux de téléphonie mobile ont été coupés, empêchant les manifestants de communiquer sur l’ampleur de la manifestation, via Twitter ou Facebook, outils internet de mobilisation et d’information désormais essentiels pour les activistes égyptiens. «L’Etat a peur», assure la jeune fille, en énumérant les gestes symboliques effectués par le gouvernement égyptien cette semaine : baisse des prix de produits de première nécessité, créations d’emplois pour les jeunes diplômés, octroi de primes pour les fonctionnaires.
Fumigènes. Observant le chaos et les slogans hurlés par des milliers de voix, Madiha Doss, professeur à l’université du Caire, voudrait y croire : «J’aimerais que les choses changent, mais je crains que les gens aient encore trop peur pour descendre dans la rue.»«Ben Ali est bien parti ! rétorque un jeune homme, le visage enfoui dans un keffieh. Alors, demain, c’est notre tour !» En attendant, la foule appelle les habitants des immeubles à descendre. Dans la soirée, la télévision d’Etat annonçait un policier mort et deux manifestants auraient été tués dans la ville de Suez dans des heurts avec les forces de l’ordre.
source: Liberation
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