La Révolution … et l’Etat

 










Galvanisée par une charge émotionnelle exceptionnelle et véhiculée par une jeunesse réaliste qui a exigé l’impossible, la Révolution tunisienne a eu lieu. En l’espace de moins d’un mois, les forces révolutionnaires sont parvenues à renverser l’une des dictatures les plus coriaces de ce début du 21e siècle. Dialectique à l’appui, la Révolution tunisienne, dans son déroulement typique, pose comme on devait s’y attendre, la question du pouvoir ou en d’autres termes la question de l’Etat. Quels sont les moments forts de ce périple révolutionnaire ? Comment les forces révolutionnaires s’en prennent –elles à la question de la gouvernance au présent et au futur ? Par cet hiver de l’année 2011, le soleil s’est levé à l’ouest. Le vent de la liberté des Hautes Steppes, de Sidi Bouzid, de Chaâmbi et d’ailleurs ont fortement soufflé sur nos contrées. Le cri de l’injustice de Mohamed Bouazizi qui s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010 a résonné comme un tonnerre dans tout le pays et l’onde de choc s’est propagée à une vitesse vertigineuse. Très vite la douleur et le désarroi ont cédé la place à des réactions en boucles de grogne contre la dictature. Les manifestations successives ont été réprimées par les forces de l’ordre de la manière la plus atroce. Mais, l’accélération de l’histoire était irréversible et la lourde rançon de sang ne fut plus pour dissuader les forces vives de leur résolution à arracher leur droit à la vie décente. Bien au contraire la répression horrible n’a fait qu’attiser le feu et aiguiser la conscience générale et notamment chez les jeunes sur l’impératif de forcer le destin et de changer le cours de l’histoire. Tandis que le déferlement du mouvement populaire ne faisait que persister, le dictateur Ben Ali, menait la guerre contre son peuple. Les carnages successifs traduisaient toute sa volonté de briser le mouvement populaire. Conjointement, il a serré très fort l’étau sur les informations des fronts où se déroulaient des batailles largement disproportionnées en faveur des forces révolutionnaires qui n’avaient rien à perdre sauf leurs chaînes et la machine sécuritaire qu’on croyait invincible et qui a été rapidement mise hors coup. Le mutisme et la désinformation n’ont servi à rien. Dans le feu de l’insurrection galopante, la jeunesse a gagné la bataille politique et médiatique. D’abord en dotant l’insurrection d’un programme revendicatif qui dépasse la simple revendication de l’emploi pour ouvrir sur les horizons plus larges de la dignité et de la liberté. Ensuite, en brisant le mur du silence par lequel Ben Ali et son régime dictatorial ont entouré le cours des événements. Parfaitement en phase avec les nouvelles techniques de la communication, la jeunesse tunisienne a mis ces techniques au service de la Révolution de la manière la plus admirable. Photos, informations et analyses ont déferlé sur facebook et sont parvenues aux chaînes satellitaires pour mettre à nu les pratiques criminelles de Ben Ali et de son régime. Désormais, les manœuvres répressives ne suffisaient pas. Il fallait alterner le dénigrement politique et la menace. Les Tunisiens devaient retenir de la première allocution du dictateur prononcée le 10 janvier la qualification de leur mouvement de terroriste. Lequel mouvement qu’il s’est dit déterminé à briser avec une fermeté inédite. Tout le monde avait compris cette insulte à l’intelligence du peuple. Encore une fois, le dictateur déchu a instrumentalisé l’allégorie terroriste pour rappeler à ses seigneurs qu’il demeure le bon élève dans la lutte contre le terrorisme et le rempart qui les protège de ce fléau. Mais l’allégorie était à l’envers puisque le terrorisme était du côté de l’Etat et de ses instruments de répression criminelle qui s’employaient avec hargne à faire avorter la Révolution. La manoeuvre politique a été soldée par un échec cuisant pour que le mouvement de la rue reprenne de nouveau son expansion revendiquant les droits au travail, à la liberté, à la démocratie et dénonçant les crimes commis par les hordes terroristes de Ben Ali. Les slogans révolutionnaires ont également dit haut et fort halte à la corruption et aux pratiques mafieuses de la famille du dictateur. Le coup de grâce A défaut d’intimider les forces révolutionnaires, la menace les a encore plus soudé et rendu plus lucides. Cette fois ci, elles ont compris que le compte à rebours pour la destitution du dictateur et de son régime a bien commencé. Aussi ont-elles monté d’un cran leur action révolutionnaire. Il faut dire que le mouvement insurrectionnel a dans son expansion gagné toutes les régions ou presque. La région du grand Tunis devait entrer en ligne et rejoindre la Révolution en marche. Ce n’était pas du tout chose facile pour un régime qui pour des raisons stratégiques évidentes, considérait le grand Tunis comme son propre fief. L’enjeu était donc de défier le dispositif de répression colossal de la capitale et de son centre qui, à maintes fois empêché par l’atrocité inouïe toute forme de rassemblement. Mais la détermination révolutionnaire était irrésistible. A un meeting organisé par l’Union Régionale des Travailleurs de Tunis succéda le lendemain une manifestation en plein centre de la capitale. La manifestation du Passage qui a eu lieu à la suite de l’appel lancé par les facebookers fut un véritable passage et une tête de pont vers une nouvelle étape révolutionnaire. Tunis est désormais ville ouverte pour l’action révolutionnaire. A cette percée importante dans la muraille de répression dictatoriale succéda le flux du mouvement des grandes villes de Sfax, de Nabeul, de Bizerte, de Sousse et autres, Gabès… Dans la soirée du 13 janvier le dictateur apparaît sur les écrans de la télévision complètement abattu. Pour la première fois, le lifting est incapable de masquer les traits de la vieillesse et de la trouille qui ont saisi cet homme. Au «je vous ai compris du dictateur», la jeunesse de facebook a répondu par 10000 messages disant que «nous aussi nous t’avons compris. Dégage !» Le lendemain, 14 janvier, ils étaient plus de 60000 devant le ministère de l’Intérieur à réclamer en toute fermeté révolutionnaire le départ de Ben Ali et la poursuite en justice de la horde des Trabelsi. Dans les annales des révolutions, le 14 janvier 2011 a sûrement un lien de parenté avec un certain 14 juillet 1789 en France. Et dans l’imaginaire révolutionnaire, le ministère de l’Intérieur tunisien n’est autre que la Bastille. La résolution des masses révolutionnaires vint à bout de la dictature. Ben Ali, c’est fini ! Place maintenant à l’avenir. La question du pouvoir et de la construction de l’Etat devait immédiatement suivre dans cet enchaînement historique qui consacra l’avènement de la Révolution tunisienne de janvier 2011. L’instinct révolutionnaire contre la Terreur Immédiatement après sa fuite dans l’après-midi du 14 janvier, le dictateur a lâché sa garde personnelle pour terroriser la population et tenter un coup contre révolutionnaire. Ils étaient, dit-on un millier parmi la garde présidentielle à parcourir les quartiers de Tunis et des autres villes pour semer la pagaille. Elevée dans la bassesse la plus ignoble, la pègre de Ben Ali a agi dans la fidélité à l’héritage criminel d’un homme sans foi ni loi qui a fait de l’argent qui n’a pas d’odeur, sa seule devise. Mais les hordes de la garde nationale a buté sur une jeunesse encore une fois plus qu’admirable qui s’est levée comme un seul homme pour protéger le peuple contre les attentats contre révolutionnaires. L’action de ces comités de salut public qui se sont constituées et agi par instinct révolutionnaire a constitué un renfort précieux à l’Armée nationale qui s’est rangée du côté du peuple pour défendre la Révolution. Mais la question sécuritaire s’est imposée d’une façon incontournable dans cette phase de transition post dictatoriale. Le gouvernement de «l’unité nationale» Au même moment, les tractations se sont engagées entre le reste du gouvernement dictatorial et les partis politiques et les organisations de la société civile pour concevoir et asseoir le nouvel Etat tunisien en passant par un gouvernement provisoire « d’unité nationale». Il faut dire que la Révolution a pris tout le monde de vitesse. Deux faits essentiels méritent d’être mentionnés en raison du fait qu’ils auront un impact certain sur le cours de l’histoire future. Le premier est que la jeunesse qui a constitué la substance même de cette Révolution a agi d’une manière autonome en dehors de toute obédience politique ou idéologique. Ceci sans diminuer aucunement l’essence politique de leur action révolutionnaire et son contenu foncièrement progressiste et démocratique. Le second est l’absence quasi-totale du mouvement islamiste sur le théâtre des événements Dans la précipitation des événements, la totalité des partis politiques légaux a préféré compter sur le gouvernement déchu dans ses derniers jours plutôt que de rejoindre le mouvement de la rue. Sa faiblesse organisationnelle explique peut-être ce choix. Conjointement, les forces révolutionnaires ont trouvé dans l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens une organisation à même de contenir leurs aspirations. Ils ont ainsi contraint la direction de la Centrale syndicale à se mettre au diapason du mouvement révolutionnaire. C’est dans cet atmosphère que l’accouchement difficile a donné naissance au gouvernement de l’Unité nationale. Le gouvernement a été formé et sa composition annoncée par M. Mohamed Ghanouchi dans l’après midi du 17 janvier 2011, un mois jour pour jour après que Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu. Une nouvelle polarisation politique voit le jour entre les partisans du gouvernement provisoire et ceux qui veulent aller jusqu’au bout, c’est-à-dire l’éradication immédiate des restes de la dictature des instances gouvernantes et la dissolution du parti politique qui a constitué la base de la dictature de Ben Ali. Un débat politique et une lutte démocratique décisive sur le devenir de la Révolution tunisienne sont en train de monter en puissance.

source: realites

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