Rencontre avec Myriam Khemiri, du mouvement Tunisien Ettajdid


Entretiens
Écrit par Rédaction   
Mardi, 01 Février 2011 16:52
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logo mouvement Ettajdid Tunisie   Parti Pris a rencontré Myriam Khemiri, chargée de la communication du mouvement TunisienEttajdid en France. Ettajdid, ''Renouveau" en arabe, est né de l’ancien PCT (Parti Communiste Tunisien) fondé en 1920. En 1993 le PCT annonce sa transformation enMouvement Ettajdid, abandonnant le communisme et s’inscrivant dans une ligne politique centre-gauche avec de fortes sensibilités démocratiques et progressistes. Interview en forme de tour d'horizon de la situ ation de la révolution Tunisenne qui donne le La du vent de liberté qui souffle sur tout le monde arabo-musulman.   
Myriam KhemiriParti Pris. Ben Ali, c'est fini. Mais les violences policières continuent et seules quelques grandes figures de son appareil policier et de la "Famille" sont sous les verrous ? Le système Ben Ali, c'est fini ?

Myriam Khemiri. Le dictateur est parti certes, mais la machine dictatoriale, elle, est toujours en place. Le fonctionnement formaté de l’administration est encore très présent, les procédures et surtout les habitudes… rien n’a encore changé. L’une des priorités aujourd’hui est d’assainir le système de l’intérieur et au delà de dissoudre le RCD. Il va falloir dissoudre également toutes les cellules professionnelles de celui ci dans les entreprises et les administrations.
Nous sommes conscients qu’il n’y a pas de "baffe démocratique" : tout ne peut pas changer d’un coup de baguette magique du jour au lendemain… et ce qu’il nous reste à accomplir, nous Tunisiens, est sans doute la page de l’histoire de cette révolution la plus difficile à rédiger.
La Tunisie a conçu sa révolution il lui reste à l’enfanter. Un accouchement qui, on le voit, se fait jour après jour dans la douleur, dans le questionnement et trop souvent dans la peur.
La police politique est toujours là (je dis bien police politique car elle n’est pas la police de l’Etat, mais bien celle de l’ex-présidence). Les milices de la garde présidentielle n'ont apparemment plus de tête qui les gouverne.  Le système est suffisamment opaque pour leur laisser carte blanche : pillage, violence, chaos, voilà ce qu'ils veulent. Quant à l’armée, sous ses airs bienveillants, quelles sont réellement ses ambitions ? Incarnée par Ammar, le général "héros" qui bénéficie d'une certaine aura auprès du peuple, elle peut à tout moment décider de prendre les reines du pays.
C’est ce cancer qu’est l’incertitude  qu’il va falloir balayer…
La question du jugement des membres du clan Ben Ali est également cruciale : il faut qu’ils soient jugés, que soient récupérés tous les biens et avoirs financiers illégalement obtenus et qu’ils soient rendus au peuple tunisien. Une tâche particulièrement difficile et qui sera forcément longue à réaliser.
Chaque tunisien a prouvé avec une maturité exemplaire qu’il était près à tout donner pour sa liberté et la démocratie et c’est pour cette volonté commune que nous voulons aujourd’hui nous battre.
PP. Le processus en court surprend en France, par son côté "si bien élevé", faisant voler en éclat les clichés français sur le monde arabe, forcément violent. La démocratie, c'est pour quand alors ?

MK. Nous sommes dans la phase dure de la construction de la démocratie.
Toutes les portes sont ouvertes et fermées en même temps.
La commission en charge de l'élaboration du code électoral est en place mais il lui faut beaucoup de temps pour faire naître un code démocratique qui colle à la constitution qui a été ravagée par les multiples réformes de Ben Ali.
L'opposition, forcée au silence depuis des décennies est non seulement peu structurée mais dispose de trop peu de moyens ; hormis chez les islamistes qui eux sont très organisés.
La société civile doit s'impliquer, elle le fait mais ce n'est que le début.
Nous en sommes là aujourd’hui, et toute l’opposition l’est, pour que chaque tunisien puisse faire son choix le moment venu en votant pour les idées auxquelles il est le plus attaché. Non il n’y a pas en Tunisie que l’ex-RCD ou les islamistes, il y a des alternatives démocratiques et c’est ces alternatives que recherchent les tunisiens.
Toutes les forces vives de la nation doivent rester vigilantes et exiger des résultats rapides pour que cette démocratie soit assurée d’exister.
PP. L'occident et surtout la France a répété ad nauseam que les Arabes n'étaient politiquement mûrs que pour les flics et les islamistes. Est-ce qu'on peut dire que le risque islamiste est de facto écarté par la florescence démocratique actuelle ?

MK. La révolution a couru sur le besoin de libertés, de droits et de citoyenneté. L'islamisme apparaît comme un ennemi de la révolution par son côté liberticide.
Nous ne pouvons cependant pas écarter la menace islamiste. Ennahdha (parti islamiste tunisien) bénéficie d’un certain soutien populaire parce qu’il se dit être "pour un islam moderne" (personnellement je pense n’avoir jamais vu ni entendu autant d’incohérences à la seconde… Il s’agit bel et bien d’islamisme au sens radical du terme) mais il ne faut pas que les Tunisiens "indécis" oublient ce qu’est ce parti en terme de barbarie. La Ligue tunisienne des droits de l`homme (LTDH) avait dénoncé les violences de Ennahdha dans un communiqué du 18 mai 1991 : "La Ligue tient à insister sur le caractère très grave qu'a pris la violence cette fois-ci. Ainsi, des groupes d'étudiants appartenant au Mouvement Ennahda, ont commis de façon délibérée et organisée une série d'actes de violence grave, comme l'incendie d'institutions éducatives, appartenant au peuple, dans le but de paralyser l'université, de la prendre en otage et ce dans le cadre d'une confrontation globale avec le régime".
Il ne faut pas oublier non plus le quadruple attentat à la bombe commis dans des hôtels de Sousse et Monastir le 2 aout 1986. "Avant même les attentats à l'explosif commis le 2 août dans les hôtels fréquentés par les touristes, les violences se multiplient. Des armes sont volées à des policiers en faction devant l'ambassade d'Arabie Saoudite, des membres des forces de l'ordre sont battus à mort lors des manifestations, des magistrats sont vitriolés et des lettres de menaces arrivent chez des journalistes tunisiens". (Le Monde du 2 septembre 1987).
Nous ne sommes pas dupes aujourd’hui des discours "pseudo moderne" de Rached Ghannouchi leader de Ennahdha.
Nous n’oublions pas le discours de Théheran au 1er congrès islamique en décembre 1990 : "Les premières lueurs de l'islam apparaissent, ainsi que les promesses d'un islam victorieux, avec un Etat islamique international [...] un islam qui règlera leur compte aux armées juives criminelles qui poursuivent leur croisade contre notre Umma [...] l'adversité est de nature à éveiller notre nation, et à l'inciter au djihad, à l'union et au combat contre ces régimes traitres qui nous oppriment".
Nous pouvons imaginer que pour Ennahdha la démocratie n’est qu’un moyen d’instaurer une théocratie à terme et c’est pour cela qu’ils montrent patte blanche aujourd’hui en ne visant que les législatives… une manière de s’attaquer au pouvoir de proximité pour embrigader.
Nous estimons que la croyance est sacrée en ce sens ou elle appartient à chaque individu, elle n’a rien à voir avec l’Etat ni avec sa marche.
Les tunisiens qui étaient dans les rues ont prouvé qu’ils ne voulaient d’aucune dictature à l’avenir, qu’elle soit policière ou théocratique.
Nous appelons tous les tunisiens à la vigilance, encore et encore, pour que cette révolution née de l’aspiration à l’égalité, la liberté et la démocratie ne leur soit volée par aucun mégalomane quel qu’il soit.

PP. La révolution, c'est le déclenchement d'un processus de réformes radicales. En Tunisie, lesquelles doivent être mises en œuvre immédiatement ?
MK. Les premières concernent véritablement la liberté d'entreprendre, la liberté de la presse et d'expression. Il faut également remettre à plat tout le système fiscal et de financement public qui a été distordu par le clan Ben Ali. Si de facto avec le départ du clan, la corruption dans les plus hautes sphères disparaîtra, la petite corruption nécessite un travail de fond.
23 ans de bakchich, de pistons, d’habitude à "bouffer à tous les râteliers", c’est cela qu’il faut combattre aujourd’hui. Nous sommes conscients que cela prendra du temps mais conscients également qu’il faut travailler en ce sens dès aujourd’hui sans perdre une seule minute.
Nous demandons, comme je l’ai dis un peu plus haut, la dissolution des cellules professionnelles du RCD au sein des entreprises et des administrations, justement pour que ces habitudes changent à terme ainsi que la restitution au peuple de l’argent de l’Etat que la mafia qui a régné sous Ben Ali a spolié.
Des mesures concrètes doivent être prises rapidement afin d’assainir le climat politique et d’élargir la concertation à tous les partis, organisations et associations indépendantes, sans exclusive. Rassurer le peuple ainsi que les investisseurs, rétablir la confiance dans le processus de réforme politique, économique et sociale, assurer le retour de l’activité économique, à un rythme soutenu afin de garantir la stabilité et la sécurité du pays. Ceci est une priorité en ces temps de transition démocratique.
PP. Les femmes dans la révolution ?

MK. Cette période historique que traverse la Tunisie a été portée à bras le corps par les femmes et les hommes de ce pays. Non, ce ne sont pas les hommes seuls qui ont fait la révolution, ni les femmes seules qui l’ont engendrée.
Cette voix unique, sans distinction de sexe, qui a clamé  "liberté et dignité" est une preuve incroyable de la maturité du peuple tunisien et du statut de la femme dans ce pays depuis 1956.
Les femmes de cette révolution sont d’incroyables militantes qui marchent auprès des hommes, ni devant, ni derrière. Elles ont été dans les rues, se sont exprimées dans les médias et participent chaque jour à ce que cette révolution ne soit pas celle d’un groupe mais celle de tous.
PP. De gauche à droite, la France a soutenu son "ami Ben Ali" jusqu'à la dernière seconde. Pour mes prochaines vacances en Tunisie, je dois venir avec un casque où on est toujours amis ?
MK. Vous serez toujours mon ami M Chenu, quelle question ? (rire)
La chose que nous a apprise cette dictature de 23 ans en Tunisie c’est bien de faire la différence entre les gouvernements et les peules. Les hautes sphères de l’Etat français ont certes soutenu "leur ami Ben Ali" il n’en est pas moins que les français, eux, soutenaient le peuples tunisiens (plusieurs vidéos avaient circulé sur le net). Le peuple tunisien sera toujours l’ami du peuple français.

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